Je ne connaissais pas Gamel Woolsey. Elle était morte d'un cancer du sein trois ans avant mon arrivée au sud de l'Espagne en 1971, et que je ne rencontre son mari l'écrivain anglais Gerald Brenan.
Mais je découvris rapidement qu'elle était toujours avec nous.
La maison de Gerald était décorée dans son style avec les choses qu'elle avait achetées, surtout de simples exemples d'artisanat espagnol, des poteries et des meubles faits à la main. Elle était aussi avec nous avec les livres qu'elle avait collectionnés et que j'ai lus.
Plus que tout elle était là dans les conversations des amis de Gerald. Tous parlaient de Gamel et de son extraordinaire mémoire sur la guerre civile espagnole. Il était peu connu, mais considéré comme l'un des meilleurs récits sur ce conflit. Il contenait peu de faits historiques, de statistiques ou d'analyses, mais ses sentiments les plus profonds, et sa connaissance sur les gens des deux partis en guerre.
En peu de temps j'eus le sentiment que je connaissais bien Gamel sans l'avoir jamais rencontrée. Gerald me dit qu'il y avait toujours eu une brume de mélancolie sur leur relation. Avant de se rencontrer chacun d'eux s'était profondément attaché à quelqu'un d'autre et celà les avait laissés avec des blessures jamais cicatrisées.
Pour Gamel c'était un écrivain anglais, marié, alors célèbre mais maintenant oublié. Gerald lui avait été follement amoureux de Dora Carrington, un peintre membre du groupe de Bloomsbury qui l'avait laissé pour son meilleur ami de la guerre de 14.18.
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Gerald Brenan at 28. |
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Pourtant il y avait quelque chose de solide dans leur mariage, qui dura 37 ans jusqu'à sa mort. Ils partageaient confiance et respect. On peut voir dans "Malaga Burning" qu'elle le regarde avec admiration et une affection amusée. Je penseque quelque chose venant de ses racines de Caroline du Sud l'avait amenée vers lui. Gerald était un intellectuel de nature aimable. Mais il était aussi comme il l'avait prouvé à la guerre, un homme de grand courage.
Il avait servi pendant la premiere guerre, le plus jeune capitaine dans le corps expéditionnaire anglais, et avait été blessé deux fois. Il disait toujours qu'il était le plus jeune seulement parce que ceux de sa génération avaient été tués. Il pensait que son habilité à parler français l'avait sauvé. Les traducteurs étaient rares et quand on apprit qu'il parlait cette langue il fut recruté par un aide pour le quartier général français.
“Mon Général” dit l'aide présentant Gerald. “Voilà finalement un anglais intelligent. Il parle français.”
La guerre s'avera être mon lien avec Gerald. J'avais passé cinq années au Vietnam d'abord comme officier de renseignement, et ensuite comme journaliste à Time Magazine et à The New Republique. J'avais rencontré ma femme Claude, journaliste pour une revue médicale française, à Saigon.
Nous cherchions un endroit ensoleillé et peu cher où je pourrais écrire mon premier livre. Par chance nous avions trouvé celà dans les collines au dessus de Malaga, une maison entourée d'orangers avec vue sur les pics neigeux de la sierra de Ronda. Gerald, notre proche voisin, allait devenir notre ami pour les douze années suivantes.
Quand Gerald entendit parler de mon expérience au Vietnam il se porta volontaire pour être mon conseiller. Après la première guerre, il était parti pour l'Espagne, où il chargea un âne de livres et grimpa jusqu'à un village isolé dans les montagnes proches de Grenade. Il s'y installa pour écrire et essayer d'exorciser la guerre qui l'avait marqué. De cette expérience sortit “Au Sud De Grenade” qui est encore un des livres les plus charmants écrit sur la vie d'un village espagnol.
Gerald me dit, “Après la guerre je pensais que je ne retrouverais jamais une vie normale. Dites à Claude qu'elle soit patiente. Vous y arriverez aussi.”
Il parlait de ce qui a été connu plus tard comme le stress post traumatique. Il avait raison et avec son aide je le surmontais aussi. Et Claude fut patiente pendant les six ans nécessaires. Celà me rapprocha de Gerald qui avait quarante sept ans de plus que moi. Il devint mon frère d'armes.
Entre Gerald et Claude le coup de foudre fut immédiat. Elle cuisinait très bien, et il aimait la bonne cuisine et le vin. Elle aimait les écrivains et les livres et il lui donnait des leçons à l'heure du thé sur la littérature anglaise et américaine. Elle me défiait ensuite sur les soeurs Brontë et Mrs Gaskell, et qui avait écrit quoi.
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Claude in Spain. |
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Gerald était aussi content, heureux même, de savoir que j'étais de Caroline du Sud. Il s'était rendu dans la ville natale de Gamel pour y rencontrer sa famille et après à Charleston où elle avait passé une partie de sa jeunesse.
Il y a beaucoup de raisons pour tomber amoureux de Charleston. Mais les raisons de Gerald étaient plutôt inhabituelles. L'une d'elles était une séduisante Afro Américaine, liftière dans un immeuble de Charleston. A la montée elle lui parla du Sud et de sa vie. Il la trouva si charmante et prête au bavardage qu'il voulut continuer la conversation. La seule manière de faire était de prendre son ascenseur. Aussi Gerald passa des heures à monter, descendre et parler jusqu'au vertige!
C'est une histoire qu'il me racontait souvent, son seul regret étant d'avoir eu un séjour limité à Charleston qui ne lui avait pas permis de parler plus longtemps avec cette liftière si attirante.
J'expliquai à Gerald que je venais de Cheraw, une petite ville de Caroline du Sud proche de la frontière de Caroline du Nord, dont le nom venait d'une tribu Cherokee. J'étais diplômé de Clemson où j'avais reçu en 1963, décerné par l'association de la presse universitaire, le premier prix pour avoir couvert l'intégration à Clemson, la première université à le faire dans l'état. J'avais aussi travaillé comme reporter à mi-temps pour Associated Press.
Tim Parker le chef de bureaux de AP pour les Carolines m'avait dit le jour même où Harvey Gantt avait intégré Clemson, qu'un travail à plein temps m'attendait au bureau de Charlotte quand j'aurais terminé mon service militaire obligatoire. Mais je fus recruté comme correspondant de guerre par Time à Saigon et décidai de rester au Vietnam.
Une semaine après avoir parlé de Cheraw à Gerald, il me présenta à un ami proche venu lui rendre visite, l'écrivain anglais V.S Pritchett.
"Voici Zalin Grant," dit Gerald. "C'est un écrivain qui vient de Charleston comme Gamel."
Le jour suivant je lui rappelais poliment son erreur.
"Je ne suis pas de Charleston, Gerald, je suis de Cheraw. C'est aussi une ville riche en histoire, appelée 'la plus jolie ville de Dixie.' Un de nos avocats, John Inglis, rédigea les articles sur la sécession pour la convention de Charleston en 1860, et Cheraw a été la première ville du Sud à faire sécession de l'Union. Le Général Sherman avait fait de Cheraw son quartier général en mars 1865, dans une résidence proche de l'endroit où j'ai grandi. Plus de ses troupes passèrent dans Cheraw que dans une autre ville du Sud. Ce fut aussi après la guerre en 1865, la première ville à ériger un monument à la mémoire des soldats confédéres morts au combat.”
Gerald écoutait avec intérêt. Il posait de nombreuses questions. Il me dit que Cheraw lui paraissait très jolie et qu'il aimerait la visiter.
Peu de temps après, il me présenta à un autre de ses bons amis, David Garnett, un membre du groupe Bloomsbury dont la mère Constance Garnett, avait fait la traduction de Tolstoï.
“David, voici Zalin,” dit Gerald. “C'est un écrivain, il est de Charleston comme Gamel.”
Je réalisais que Gerald voulait que Gamel et moi soyons de Charleston, bien qu'il sût qu'elle était d'Aiken et fière de l'être et que j'étais fier aussi d'être de Cheraw. Il aimait ce lien entre nous. Et en plus il y avait la liftière!
Quelques années plus tard, alors que Gerald prenait ses vacances d'été à la montagne et que je prenais soin de sa maison, de son jardin et de son chat, il m'envoya une lettre me demandant d'arranger pour Bruce Chatwin, un écrivain anglais, un séjour de plusieurs jours dans sa maison. J'allais chercher Chatwin à la gare de Malaga.
"Bonjour,” lui dis-je. "Je suis Zalin Grant de Charleston.”
“Oui je sais" répondit Bruce. "Gerald me l'a dit. Belle ville, Charleston."
Je n'étais pas surpris que les hommes aiment Gamel. Apès tout elle était belle, chaleureuse, et prête à rire de leurs plaisanteries. Mais quand le philosophe Bertrand Russell avait voulu mener un peu plus loin leur léger flirt, elle avait prouvé qu'elle dominait l'art féminin de dire "non” sans jamais prononcer le mot, laissant les hommes croire, que quelle que soit la raison de son refus, celà n'avait rien à voir avec leur charme envoûtant et leur esprit brillant.
Mais je fus vraiment surpris par la réaction des femmes envers Gamel. Quand une femme est si jolie, pleine de talents et de style, on peut parfois entendre certaines rosseries. Mais pas pour Gamel. Elle était aimée par ses amies et relations.
J'avais parlé à deux femmes de Gamel, essayant d'avoir une version moins idéalisée de sa personnalité que ce que j'avais entendu.
“Et bien,” dit l'une. “Je pense que parfois elle était un peu trop rêveuse."
”Non!” dit l'autre vivement. "C'était un poète, c'est pour celà qu'elle était rêveuse."
Gerald cherchait toujours plus de liens entre Gamel et moi. Un jour il remarqua que tous les deux nous avions des prénoms inhabituels.
”Les sudistes donneraient n'importe quels noms à leurs enfants, n'est- ce pas?” dit il.
Je répondis “Ma soeur s'appelle Thurma Dean.”
D'ailleurs, Gerald et moi avions des ennuis avec nos noms dans le village. Il était devenu le plus célèbre des écrivains non espagnol en Espagne. Il avait fait le premier travail sur le meurtre de Garcia Lorca durant la guerre. Ces livres “Histoire de la littérature espagnole," “Le labyrinthe espagnol,” et autres étaient étudiés dans les écoles. Notre village Alhaurin el Grande allait bientôt nommer sa route principale avenue Gerald Brenan, et une stèle allait être érigée en son honneur.
Les gens de son milieu l'appelaient Don Geraldo. Pour les autres du village celà semblait trop formel. Ils changèrent donc Gerald Brenan en un surnom plus famillier, "hierbabuena”(menthe) comme dans menthe julep. Ils avaient aussi un problème avec mon nom et je devins Antonio, qui est le prénom d'un homme sur cinq en Andalousie. Mon chien s'appelait Pataud, un vieux nom français. C'était un chien de berger, de la même race que celui du Président Obama. Mais Pataud se prononce comme Pato en espagnol qui veut dire canard. C'était la joie des villageois qui trouvaient fous ces étrangers appelant leur chien “canard.”
Nous appriment le changement de nos noms quand les femmes du villages arrêtant Claude dans la rue lui disaient, “Hier nous avons vu Antonio, Don Hierbabuena et le canard qui marchaient dans le village.” Gerald et moi appréciâmes le changement de noms et Pataud sembla se réjouir de sa nouvelle célébrité.
Gerald me demanda de lire le mémoire de Gamel, “Death's Other Kingdom” (L'autre Royaume de la Mort), et de lui dire ce que j'en pensais. Bien sûr,comme tout ceux qui avaient lu le livre, je pensais que c'était admirable. J'étais submergé par la beauté et l'accent de vérité du mémoire. Pour moi il était comparable à "Hommage to Catalonia" de George Orwell, mon livre favori sur la guerre civile espagnole, bien que différent, bien sûr, car Orwell avait participé comme soldat à la guerre du côté des républicains.
Le livre d'Orwell avait été publié en Angleterre à peu près au même moment que celui de Gamel et les deux furent rapidement épuisés. Le livre d'Orwell fut publié ensuite aux Etats Unis après sa mort, par sa femme .
Je dis à Gerald que le titre du livre de Gamel, qui venait d'un poème de T.S.Eliot, son poète favori, était un peu trop abstrait pour le grand public à mon opinion. Il était d'accord, mais nous n'avons rien trouvé de meilleur à ce moment là.
Gerald avait essayé sans succès de faire republier le mémoire en Angleterre. Il avait réussi avec sa poésie. Warren House Press avait édité quatre de ses livres de poèmes “The Last Leaf Falls," “Twenty Eight Sonnets,” “Middle Earth,” and "The Weight of Human Hours.“
Claude et moi allions quitter l'Espagne pour aller vivre en France. Peu avant notre départ, Gerald me demanda poliment de le suivre au jardin, rempli des fleurs que Gamel avait aimées. Il avait à la main le livre de sa femme. Il me dit que c'était son exemplaire personnel annoté, la dernière copie qui lui restait. Il me demanda de l'accepter, et d'essayer un jour de le faire publier en Amérique.
“Je serais honoré d'essayer, Gerald. Mais vous connaissez les éditeurs et je ne pense pas que celà sera facile. Cependant je vous donne ma parole que j'essaierai.”
“C'est tout ce que je demande” dit Gerald. “Je vous remercie.”
Presque vingts ans passèrent. L'internet arrivait soudainement sur nous. J'ai créé une petite maison d'édition internet appelée Pythia Press. Claude était la présidente. Nous avons publié “Death's Other Kingdom” sous le titre "Malaga Burning” et le livre reçut des critiques enthousiastes.
Je pense que pour Gamel et moi, c'était notre destin. Comme Gerald le souhaitait il y avait vraiment des liens entre nous. Nous étions deux écrivains de Caroline du Sud et chacun s'était trouvé loin de chez soi dans un village espagnol.
Nous étions d'une certaine façon, elle, petite fille et moi arrière petit fils de la Guerre entre les Etats, comme on nous demandait de la nommer dans nos écoles. Sa famille venait de la terre et mon grand père exploitait cinq cents acres de coton. Elle aimait profondément la nature et voulait protéger notre héritage. Mon père avait servi dans le corps de conservation civile durant la dépression, et aidé à créer le magnifique parc de Cheraw, où j'ai passé quelques uns des moments les plus heureux de ma jeunesse.
Elle avait défendu l'égalité raciale. J'avais été dénoncé à l'assemblée de Caroline du Sud, ainsi que mon mentor A.M.Secrest, éditeur de la Cheraw Chronicle, pour avoir promu “l'idée communiste”—comme un législateur l'avait baptisée—que les citoyens noirs de notre état devaient être libres d'intégrer nos écoles et nos universités.
Gamel avait connu une guerre civile et ses horreurs en Espagne. J'avais eu la même expérience au Vietnam.
Et, bien sûr, nous venions tous les deux de Charleston.
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